L’Assassinat d’Henri IV par Ravaillac, selon Jacques Sobieski
Nous sommes le 14 mai 1610, en plein après-midi. Un événement tragique vient secouer le royaume de France. À Paris, rue de la Ferronnerie, François Ravaillac assassine le roi de France Henri IV.
Jacques Sobieski (1590-1646), père de Jean III Sobieski, futur roi de Pologne, se trouve alors dans la capitale française, où il effectue un séjour d’études. Ce vendredi-là, il croise le carrosse royal, quelques instants à peine avant le régicide. La terrible nouvelle l’atteint à la porte Saint-Martin, à deux pas du lieu de l’assassinat d’Henri IV. Par la suite, il suivra avec attention le jugement et l’exécution de Ravaillac.
Le voyageur polonais nous livre ses impressions sur ces temps troublés au sein de sa relation de voyage Peregrynacja po Europie, c’est-à-dire Pérégrination à travers l’Europe. C’est ce témoignage que nous vous invitons à découvrir à travers ce billet de blog.
Le récit de voyage de Jacques Sobieski
Jacques Sobieski part en voyage en avril 1607 pour silloner les routes de l’Europe pendant cinq ans, jusqu’en 1613. Sa principale destination est Paris. Il y séjourne pendant plus de trois ans, de juin 1607 à février 1611 (avec une pause de quelques mois pour des excursions en Angleterre et en Rhénanie).
Tout au long de ses péripéties, le nobles polonais prend des notes au sujet des lieux visités, des personnes rencontrées, des moeurs et coutumes des pays parcourus ou d’événements insolites.
Toutefois, Jacques ne systématise pas tout de suite ses annotations. Ce n’est qu’en 1642 qu’il les rassemble au sein d’un récit de voyage : Peregrynacja po Europie.
Manuscrits, éditions imprimées et traductions de Pérégrination à travers l’Europe
Le texte de Jacques Sobieski nous est connu grâce à des copies du XVIIe et du XIXe siècle, conservées entre autres à Leningrad, Kórnik et Cracovie.
Puis, ces manuscrits ont connu deux éditions imprimées. La première, réalisée par l’érudit Edouard Raczyński, date de 1833. Józef Długosz est à l’origine de la seconde, parue en 1991, réimprimée en 2005. L’historien a apporté de nombreuses corrections et précisions à la version de 18331. Cette édition de 1991 a servi de base à la présente traduction française, qui n’est cependant pas la première.
Leonard Chodźko, grand érudit polonais, émigré en France au XIXe siècle, avait donné une première traduction de l’extrait en question dans La Pologne historique, littéraire, monumentale et pittoresque, parue en 3 volumes entre 1835 et 18422. Néanmoins, cette version reste lacunaire : de nombreux passages sont absents. D’où le besoin d’une nouvelle traduction, plus complète.
Voici donc l’extrait, revu et augmenté, rapportant la journée du vendredi 14 mai 1610, telle qu’elle a été vécue par Jacques Sobieski3.
L’Assassinat d’Henri IV décrit par Jacques Sobieski
Die 14 Maii, vendredi
Portrait du régicide Ravaillac
Ravaillac, natif d’Angoulême en Province, exerçait les fonctions de chantre dans une petite paroisse de village. Il était d’un caractère sombre et mélancolique. Le livre de Mariana, jésuite espagnol4, tomba entre ses mains. Dans ce livre, il lut ces mots : il est permis de tuer un tyran ! Aussitôt l’âme de Ravaillac fut en proie à une sorte de frénésie. Il tourna et retourna cette idée, elle s’empara de lui, elle le posséda, et enfin, inspiré par le démon, il prit la résolution d’assassiner le roi de France. La torture même ne put lui faire avouer un autre motif à son crime.
L’assassinat d’Henri IV
Ravaillac se rendit à Paris, et ce vendredi-là, il s’approcha du Louvre de très bonne heure, à dessein d’effectuer son projet. Le roi sortit, mais il était tellement entouré que l’assassin ne put l’approcher et quitta le château. Après le dîner, le roi sortit encore pour aller à la Bastille5, parce que c’était là que se faisaient les préparatifs pour la prochaine guerre, et que se trouvait le trésor royal. II était venu pour s’entretenir avec son trésorier6, et prendre des mesures définitives, car il devait partir pour l’expédition le mardi ou mercredi suivant.
Ravaillac, aposté près du Louvre, suivit de près le carrosse royal. Henri IV, en revenant de la Bastille7, passa par la rue de la Ferronnerie : c’est une petite rue sale et étroite, où l’on vend de la ferraille. Par malheur, une charrette, traînée par deux ânes, barrait la rue. La garde royale commença à maltraiter le paysan qui conduisait la charrette. Le roi cria qu’on le laissât tranquille, et ordonna qu’on s’arrêtât.
Ravaillac qui épiait chaque mouvement, voyant la voiture à l’arrêt, monta comme un furieux sur la roue du carrosse. Le roi était assis dans le fond, et avait un bras appuyé sur la portière. En face de lui était le duc de Montbazon. Ravaillac sauta du côté vide et frappa le roi droit au cœur de deux coups de poignard. Le sang fit à l’instant irruption, par les blessures, par la bouche et par les oreilles. Le roi ne put prononcer que ces mots : « Mon Dieu, je suis assassiné, je meurs ». Ainsi expira tragiquement ce monarque de grande renommée et de haute vertu. La garde royale saisit l’assassin. On baissa les rideaux du carrosse, et on emmena le corps du roi au Louvre.
Jacques Sobieski au moment du crime
Je me trouvais par hasard à peu de distance du lieu de l’assassinat, dont je faillis être le témoin. Ce vendredi-là, après mon diner8, j’étais sorti pour aller voir les décorations et les inscriptions qu’on plaçait sur la porte Saint-Martin, comme me l’avait conseillé mon professeur et homme de grande science, George Critton9. C’est par là que la reine devait faire son entrée solennelle. Les inscriptions étaient en français, en latin et en grec. Sébastien Orchowski, mon jeune compagnon de voyage, était avec moi ; mon surveillant Komutt était resté à l’hôtel ; Pietrzycki ne nous avait pas accompagnés parce qu’il avait été prendre une leçon d’escrime au faubourg Saint-Germain.
En chemin, j’entrevis le roi à l’instant même où il entrait dans la rue, où il allait mourir. Au moment où je lisais les inscriptions à la porte Saint-Martin, tout un coup, il se fit un grand bruit. Je pensais que c’était un des ouvriers qui travaillaient autours de l’arc de triomphe, qui était tombé de l’échafaudage. Puis, on entendit crier de tous côtés : « Le roi est assassiné ! » On n’imagine rien de pareil au tumulte qui suivit ces paroles.
Orchowski me conseilla de me cacher chez mon banquier, qui demeurait tout près de là. Je ne le connaissais pas, mais Orchowski allait souvent chercher de l’argent chez lui. Le banquier ne voulait pas me laisser entrer jusqu’à ce qu’il reconnût Orchowski qui lui expliqua la situation. Nous y restâmes pendant une heure.
Le voyageur polonais après le régicide
En sortant, nous allâmes chez les jeunes princes Christophe et Albert Radziwiłł, fils de Stanislas Radziwiłł, staroste de Samogitie, pour savoir des nouvelles. Albert est aujourd’hui chancelier du Grand-duché de Lituanie, le frère aîné Christophe étant décédé après son retour en Pologne.
En route, nous traversâmes l’église Saint-Gervais. Là une vieille femme se mit à crier en nous voyant : « Tenez, pour sûr, c’est un Polonais qui a assassiné le roi ». Elle criait cela à tue-tête en s’adressant au peuple qui était rassemblé aux portes de l’église. Je m’abritai un instant dans l’édifice, puis je rejoignis les Radziwiłł.
J’envoyai chez moi un domestique pour qu’il me ramenât mon cheval. Quand je l’eus à ma disposition, je sautai dessus pour rentrer à l’hôtel. L’infanterie occupait tout l’espace depuis le Pont-Neuf jusqu’à l’Université, qu’on appelait le troisième quartier de Paris. Près de mon hôtel, je passai à côté de mon cordonnier, qui me fournissait en chaussures pendant tout mon séjour. Celui-ci me voyant courir à cheval, un pareil jour, dans un pareil moment, crut que je venais l’arrêter. La peur le prit si fort qu’il se mit à fermer sa boutique. Je me mis à rire et lui dis : « Cher ami, laissez les étrangers tranquilles, vous n’avez aucun mal à craindre de nous. »
À l’hôtel, je retrouvai mon surveillant Komutt à demi-mort de frayeur. Mon absence lui avait causé des inquiétudes infinies. Le soir, l’abbé de Sainte-Geneviève10, qui logeait dans son couvent tout près de chez moi, m’envoya dire qu’il m’offrait un asile dans sa sainte maison, où je pouvais aussi faire déposer mes effets. Je le remerciai de son obligeance, décidant de rester à l’hôtel avec toute ma suite et toutes mes affaires.
La fureur du peuple de Paris après l’assassinat d’Henri IV
Tard le soir, les princes du sang et autres grands seigneurs chevauchaient à travers les rues, appelant le peuple au calme et le rassurant qu’il n’y avait rien à craindre, car si leur roi Henri IV fut assassiné, Louis XIII, son fils, vit. La paix revint cette nuit, comme si on avait été la veille, à midi, sous Henri IV.
Cependant, tout de suite après la mort du roi, Paris s’était retrouvé dans une consternation telle qu’il semblait être au jour du jugement dernier. Le bruit se propageait à mesure que la tragique nouvelle atteignait les foyers. Les femmes accouraient dans les rues, tout échevelées, levant les bras, hurlant, pleurant, maudissant. Les unes fuyaient avec leurs enfants, sans savoir où aller ; les autres parcouraient la ville en carrosse, sans savoir pourquoi. Certains hommes s’enfermaient dans leurs maisons ; d’autres sortaient à demi vêtus, allant à pied ou à cheval, fendant l’air de leurs épées, menaçant, jurant, fulminant, criant comme des forcenés. En un mot, c’était une véritable fureur populaire. Les ambassadeurs d’Espagne et d’Angleterre coururent les plus grands dangers ; car on disait que c’était par leurs instigations que Ravaillac avait assassiné le roi. Le peuple voulait les prendre d’assaut ; mais enfin on parvint à calmer l’exaspération.
Dès qu’on eut lavé le corps d’Henri IV, et qu’on l’eut déposé sur le lit de parade, les vieux soldats demandèrent à lui baiser la main ; ils obtinrent cette grâce. On permit au public d’entrer la nuit dans le Louvre, pour voir le roi. Quelques Français me conseillaient d’y aller, mais je ne voulais pas faire preuve de curiosité, et mon hôtel était si éloigné que je ne voulus pas bouger de chez moi.
Que s’est-il passé après le régicide ?
La suite du récit de voyage rapporte les événements qui ont suivi l’assassinat d’Henri IV. C’est-à-dire : la mise en place de la régence, les processions et cérémonies funéraires, et surtout le jugement et l’exécution de Ravaillac. Là-dessus, Jacques Sobieski est un témoin de premier ordre. Car il a loué une fenêtre place de Grève pour observer attentivement la scène.
Le passage cité est également précédé d’une description des préparatifs de guerre contre les Habsbourg (guerre de succession de Juliers) et du couronnement de la reine Marie de Médicis.
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Découvrez-en plus au sujet de Jacques Sobieski et de son fils Jean III Sobieski, roi de Pologne, en cliquant ici.
- Długosz Józef, « Wstęp » in Sobieski Jakub, Peregrynacja po Europie i Droga do Baden, éd. Józef Długosz, Warszawa-Wrocław, ZniO, 1991, p. 30-32, 38-39
- Nous avons eu recours à une réédition des années 1840. Voir : « Journal d’un voyage fait en Allemagne et en France au commencement du XVIIe siècle par Jacques Sobieski, père du roi Jean III Sobieski » in Chodźko Leonard (dir.), La Pologne historique, littéraire, monumentale et illustrée, Paris, 1844, p. 236-246
- Les titres sont un ajout de notre part afin de répondre aux exigences des moteurs de recherche et accroitre la visibilité de l’article.
- Juan de Mariana, De rege et regis institutione, 1599. Traduit en français sous le titre : Sur le Roi et les institutions royales. L’ouvrage justifiait l’opposition au tyran, pouvant aller, dans certains cas, jusqu’au tyrannicide.
- Plus précisément, le roi se rendait à l’Arsenal, où résidait le duc de Sully.
- Maximilien de Béthune, duc de Sully, surintendant des finances.
- Henri IV fut assassiné en se rendant à l’Arsenal, et non sur le chemin du retour.
- C’est-à-dire après le déjeuner, selon les termes d’aujourd’hui.
- Également connu sous le nom de George Crichton. Juriste et professeur au collège royal de France.
- L’abbé d’Escurey (décédé en 1615).